A. Rapide synthèse de l'histoire de la compilation du Coran :
Le Coran ne consistait pas en une compilation officielle du vivant du Prophète Muhammad. La découverte de quelques 35.000 fragments de vieux manuscrits déchirés découverts à Sana'a après l'effondrement d'un toit d'une vieille mosquée à Saba'a, révélant notamment 56 corans remontant à la première moitié du premier siècle hégirien, a démontré que le Coran dont nous disposons est conforme au Codex d'Uthman ibn Affan sous sa forme consonantique. Tandis que la version vocalisée a été consolidée, par l'approche selon la rhétorique sémitique par Michel Cuypers, comme organisé rigoureusement suivant des symétries logiques intra- et inter-sourates.
Or l'ouvrage d'exégèse le plus ancien dont nous disposons toujours d'une version est celui de Tabari (838-923) postérieur au Prophète de deux siècles. La langue et les interprétations de cet ouvrage ancien sont tout de même éloignées de l'idiome originel du vivant du Prophète laissant certains passages du Coran obscurs, en l'absence de dictionnairs contemporains du Coran. Pour cette raison, un effet de jeux de miroirs entre les usages, traditions, hadiths sains ou faibles et les versets s'est opéré au fil de l'histoire, en sorte que l'approche jurisprudencielle en soit arrivé à dériver au fil du temps vers une interprétation du verset (Cor. 4:34) penchant vers une lecture particulière, sensé autoriser aux mâles à frapper leurs épouses.
La présentation de cette lecture comme un fait formel est dûe à un effet de goulot d'étranglement au fil de la disparition d'ouvrages religieux contenant les avis différents. Ainsi, les quatre écoles de jurisprudence canoniques ne constituaient qu'une partie de l'ensemble des écoles primordiales. Certains hadiths faibles se sont imposés et ont été mis en avant dans ce processus.
Concrètement, ni ce verset ni un quelconque hadith considéré sain ne soutiennent l'idée de frapper la femme inobéissante, et par ailleurs le verset ne concerne pas les femmes désobéissantes mais leur refus charnel à l'égard de leur époux. La diversité des approches à ce sujet chez les premiers croyants dans l'islam primitif demeure néanmoins sous forme de trace à travers certaines variantes de hadiths et avis exegesiques.
B) Coran :
B-1. Le verset supposé permettre de frapper son épouse :
ٱلرجال قومون على ٱلنساء بما فضل ٱلله بعضهم على بعض وبما أنفقوا من أمولهم فٱلصلحت قنتت حفظت للغيب بما حفظ ٱلله وٱلتى تخافون نشوزهن فعظوهن وٱهجروهن فى ٱلمضاجع وٱضربوهن فإن أطعنكم فلا تبغوا عليهن سبيلا إن ٱلله كان عليا كبيرا
B-2. Le sens du mot "ضرب" :
Selon ce hadith du Sermon d’Adieu transmis dans Jāmiʿ al-Ṣaḥīḥ de Muslim (hadith 1218) :
« وَتَضْرِبُوهُنَّ ضَرْبًا غَيْرَ مُبَرِّحٍ »
« faḍribūhunna ḍarban ghayr mubarriḥ »
Le mot Daraba (ضرب) se compose de la lettre ض et de la racine bilitère "رب" signifiant l'idée de maîtriser une cible. On a l'idée de "cible", l'objectif, de "tête", effort raisonné et de "maison", idée de localité. La sous racine Rabb donne maître de maison et l'idée de superviser. On retrouve donc l'idée d'une maîtrise ou un contrôle de l'objet (quelque chose ou quelqu'un) suivant une finalité.
La racine ḍaraba est polysémique et le Coran en use dans divers sens éloignés :
- Monter sa couverture sur la poitrine (24:31 : wa-l-yaḍribna bi-khumurihinna ʿalā juyūbihinna).
- Exhiber les formes en tapant les pieds par terre (24:31 : wa-lā yaḍribna bi-arjulihinna).
- Donner des exemples évidents (14:24 : ḍaraba Allāhu mathalan).
- Selon al-Rāghib al-Iṣfahānī : « ضَرَبَ » signifie même parfois la copulation, témoignant d’une polysémie fort étendue. (Cf. Mufradāt Alfāẓ al-Qurʾān, entrée ضرب) :
La parole lors du sermon d'adieu « wa-taḍribūhunna ḍarban ghayr mubarriḥ » clarifie cet enseignement du Coran.
Le terme mubarriḥ signifie l’idée de quitter, de rupture (Lisān al-ʿArab, entrée برح : « al-mufāraqa wa-l-khurūj » = séparation et s'en aller). Ainsi on saisi : un ḍarb sans quitter totalement.
Le terme nushūz signifie dans ce contexte étymologiquement l’idée de chercher un autre partenaire (ن-ش-ز = élévation / séparation, Lane : « rising to seek another »).
Pour le terme ḍarab : Lane’s Lexicon (vol. 5, p. 1777-1780, entrée ḍaraba). - B2 : « To pitch a tent ; to make it to remain fixed in its place » → faire demeurer/rester là-bas, fixer une tente.
- Tropical : « To confine or restrict to a place » → confiner, faire rester en un lieu.
- Remaining fixed in a tent/house → exactement applicable à 4:34 (couches séparées = foyer fixe).
Le mot ḍaraba se compose sur le plan phylosémiotique de ḍ et de la racine bilittérale rb (رب) signifiant l’idée de maîtriser une cible.
B-3. Phylosémiotique de la racine ḍaraba (ضرب) :
Maîtrise ciblée
L’approche phylosémiotique et sémiopictographique permet de dépasser la lecture fragmentaire du verbe ḍaraba, souvent limité à « frapper », pour en restituer le champ sémantique conceptuel source, la valeur phylosémiotique d'avant les dérivations et la polysemie.
Donc, dur le plan morphosémantique, la racine se décompose selon trois sémèmes fondamentaux :
- ḍ : (pictogramme originel de la lettre = cible) superposition, pression ou application d’un acte sur un support.
- r : (pictogramme = tête) maîtrise, régulation, direction.
- b : (pictogramme = maison) localité, point d’impact ou domaine d’application.
Ainsi, ḍaraba signifie littéralement : « Exercer une maîtrise (rb) sur une cible définie (ḍ) ».
Cette matrice sémantique rend compte de l’ensemble des emplois coraniques et extra-coraniques, où le verbe décrit toujours une opération de contrôle, d’orientation ou de fixation, physique ou abstraite.
a. Usages physiques
Dans certains contextes, ḍaraba désigne une maîtrise corporelle directe :
- fa-ḍribū fawqa l-aʿnāq (8:12) : « Frappez en les cous » — domination militaire, pas à prendre au sens strict de viser les cous.
- wa-l-yaḍribna bi-arjulihinna (24:31) : « Qu’elles ne tapent pas des pieds » — maîtrise de la marche pour attirer l'attention et séduire.
b. Usages spatiaux et existentiels
- yaḍribūna fī l-arḍ (4:101, 73:20) : « Ils parcourent / de déplacent sur des distances importantes » — maîtrise de l’espace (hostile) par déplacement maîtrisé .
- Lane : « To travel in the earth » → voyager à travers les territoires.
c. Usages cognitifs et discursifs
- ḍaraba Allāhu mathalan (14:24) : « Dieu propose un exemple » — maîtrise du sens par reformulation parabolique.
Dans fa-ḍribūhunna (4:34), la cohérence interne suggère de même non pas une violence, mais une mise à distance régulée (confinement séparée dans le foyer). Lane B2 : « Remaining fixed in a tent/house » → faire rester là-bas.
d. Cohérence sémiologique globale
La polysémie dérive d’un même noyau : maîtrise ciblée.
e. Tableau synthétique
| Champ | Exemple coranique | Fonction sémiotique |
|-----------|-----------------------|--------------------------|
| Physique / guerrier | 8:12 – fa-ḍribū fawqa l-aʿnāq | Domination ciblée |
| Sensoriel / social | 24:31 – wa la-yaḍribna bi-arjulihinna | Maîtrise du geste |
| Spatial / existentiel | 4:101 – yaḍribūna fī l-arḍ | Maîtrise du déplacement |
| Cognitif / discursif | 14:24 – ḍaraba Allāhu mathalan | Maîtrise du sens |
| Conjugal / domestique | 4:34 – wa-ḍribūhunna | Maîtrise relationnelle (rester là-bas) |
f. Portée épistémologique
La lecture phylosémiotique réconcilie les passages, démontrant que ḍaraba = action structurée de maîtrise d'un objet pour une fin.
B-4. : Traditionnellement, le terme "nushūz" signifie délaissement ou tromperie
B-4.1 Al-Bukhārī rapporte dans Jāmiʿ al-Ṣaḥīḥ (62:134) selon ʿĀʾisha :
- « النُّشُوزُ : أَنْ تَبْغِيَ الْمَرْأَةُ غَيْرَ زَوْجِهَا »
« Le nushūz : que la femme cherche un autre que son mari. »
B-4.2 Aṭāʾ, Mujāhid, al-Chaʿbī soutiennent cette définition selon Ibn al-ʿArabī (Aḥkām al-Qurʾān). Le Sermon d’Adieu commande : « لا يُوطِئْنَ فِرَاشَهُنَّ غَيْرَكُمْ » (ne pas faire piétiner leurs couches par des étrangers). Le Prophète utilise fāḥisha pour expliciter le terme nushūz.
B-4.3 La crainte de nushūz = crainte d’abandon / tromperie, non « désobéissance » (incohérent).
B-4.4. Dans ce cadre de relations charnelles au sein conjugal, le sens du terme "ḍarb" devient plus pertinent quand on le comprend qu'il s'agit de la méthode de séparation des couches.
Le mot ḍaraba ayant donc ici le sens de « essayer de contrôler », « de maîtriser ». En langue arabe, la plupart des termes sont polysémiques et prennent un sens spécifique selon la phrase où ils sont usités. Si donc le verset a été édicté dans le contexte des relations conjugales charnelles (isotopie), l’idée de délaissement sexuel et de tromperie devient prioritaire et le terme ḍaraba est compris dans la continuité logique : chercher à raisonner, séparer les lits, et laisser l’épouse dans sa chambre (pour lui montrer la désapprobation de son comportement).
L’expression du Prophète (faḍribūhunna ḍarban ghayr mubarriḥ) achevant cette lecture se consolide par le fait que celui-ci n'a jamais frappé une épouse (ʿĀʾisha, Bukhārī 5825). L’aliénation de ce sens au fil du temps par une culture patriarcale voyant la question de façon unilatérale a entériné une interprétation particulière postérieurement au Prophète. Cependant cette lecture est insoutenable.
Ainsi nous avons montré que, quoi que dans la langue arabe appauvrie le terme ḍaraba ait été progressivement réduit à la notion de « frapper », sa racine et son usage multiples dans divers sens dans le Coran témoignent de l.'étendue sémantique du mot originel. La sous-racine bilittérale rb (رب) signifie maîtrise, supervision, éducation.
- (rabb = maître / éducateur). Lane’s Lexicon (vol. 3, p. 1053-1055, entrée rabb) :
- Rabb : « Lord, master ; one who exercises authority and control ; educator ».
- Tropical : « To superintend, to regulate affairs » → maîtrise ciblée.
La racine ḍaraba rejoint d'autres termes parallèles en rb :
- Sharāb (شراب) : Vin obtenu en pressant / réduisant les raisins (acte maîtrisé de transformation).
- Turāb (تراب) : Terre piétinée / stabilisée.
Sur base d’anciens écrits en syriaque les linguistes soutiennent que le mot trapa (ܛܪܦܐ) signifiant « serrer l’un sur l’autre » (presser, superposer) rejoint par ailleurs le terme ḍaraba (Lane, vol. 5, p. 1777 : cognats sémitiques pour « to press together », serrer l'un contre l'autre).
De même, certains termes coraniques obscurs acquièrent un sens nouveau comme les mots turāb ou tarāʾib :
- Kawāʿib atrāb (78:33) : « Deux seins tels deux gros vases serrés l’un contre l’autre » (atrāb de rb = équilibrés / maîtrisés).
- Uruban atrāb (56:37) : « Deux seins découverts et bien dressés serrés l’un contre l’autre ».
- Min bayni al-ṣulb wa-l-tarāʾib (86:6-7) : « Entre les reins et les côtes / les côtes de la femme » (tarāʾib de rb = parties bien organisées / structure, juxtaposition).
La traduction forcée de ces passages redevient ainsi intelligible lorsque la racine du mot est maîtrisée. L'idée centrale étant l’idée de « maîtrise de l'objet ».
- Lane B2 : « To pitch a tent » = faire demeurer / maîtriser là-bas (installer la tente sur le sol = foyer contrôlé).
B-5. Lecture du verset (4:34) à la lumière de notre analyse avancée :
Le mariage vise sexualité / reproduction (dot licite le sexe). Hommes : rizq / protection ; femmes : protéger leur sexe. Si crainte de nushūz : exhorter, séparer couches (4 mois au plus, Bukhārī). ḍarban ghayr mubarriḥ = les tenir séparés sans les vraiment quitter, ou cesser de subvenir à leurs besoins.
Le Prophète sépare Ḥabība de Thābit à sa demande unilatérale (Bukhārī 19:11-112), affranchit une esclave giflée. Actes incompatibles avec violence proposée pour notre passage.
B-6. Sens de "ḍarban ghayr mubarriḥ" et sexualité dans le Coran
Al-Rāghib al-Iṣfahānī (Mufradāt) :
- « إِلْتَحَفَتْهُمُ الذُّلَّةُ الْتِحَافَ الْخَيْمَةِ بِمَنْ ضُرِبَتْ عَلَيْهِ »
- « L’humiliation les a couverts comme la tente couvre la personne. »
Sens primitif : superposition (īqāʿ shayʾ ʿalā shayʾ).
ḍaraba = établir et installer une personne quelque part, l'y fixer.
- Lane B2 : « To pitch a tent » → faire demeurer là-bas (couche = tente conjugale).
- Mubarriḥ = rompre / quitter (Lisān).
B-7. Textes arabes des Tābiʿīn (rejet de violence)
Tabari -plus ancien ouvrage d'exégèse encore détenu- mentionne en effet des divergences au sujet de l'interprétation du passage qui rejoignent notre approche linguistique :
1. Mujahid (Tafsīr Mujāhid al-Kabīr, p. 79)
وَاضْرِبُوهُنَّ: تَفْرِيقُهُنَّ فِي الْفِرَاشِ، وَلَا يَضْرِبُهَا ضَرْبَ الْوَجْهِ وَلَا الْيَدِ.
Fadribuhunna : séparez les dans leurs couches, et ne les frappez ni au visage ni (même) aux mains.
Analyse : tafrīq = séparation ; négation exemplative (Sibawayhi, Al-Kitāb vol. 1, p. 456) → pas de frappe du tout.
2. ʿAṭāʾ (Musannaf ʿAbd al-Razzāq, vol. 7, p. 398)
وَاضْرِبُوهُنَّ : يُفَرِّقُ بَيْنَهُمَا فِي الْمَضْجَعِ، وَلَا يَضْرِبُهَا.
Fadribuhunna : séparez les dans leurs couches, et ne les frappez point.
Analyse : lā yaḍribuhā = négation absolue.
3. Al-Ḥasan al-Baṣrī (Tafsīr al-Ṭabarī, vol. 5, p. 68)
وَاضْرِبُوهُنَّ: تَفْرِيقُ الْفِرَاشِ، وَلَا يَضْرِبُهَا.
Fadribuhunna : séparation des couches, et ne point frapper.
Analyse : tafrīq al-firāsh + lā yaḍribuhā.
Rmq. Al-Ḥasan al-Baṣrī avait sa propre école au même titre que les quatre écoles actuelles.
Tableau récapitulatif : Tābiʿīn vs. Ibn Kathīr
| Aspect | Tābiʿīn (Mujahid / ʿAṭāʾ / Al-Ḥasan) | Ibn Kathīr (774 H) |
|------------|------------------------------------------|-------------------------|
| Sens ḍaraba | Tafrīq fī al-firāsh (séparation) | Ḍarb ghayr mubarriḥ (frappe légère) |
| Violence | Rejetée (lā yaḍribuhā) | Autorisée (dernier recours) |
| Cohérence | Phylosémiotique + Lane B2 | Perdue |
B-7. La traduction de ce passage à la lumière de ces acquis linguistiques et philologiques :
ٱلرِّجَالُ قَوَّٰمُونَ عَلَى ٱلنِّسَآءِ بِمَا فَضَّلَ ٱللَّهُ بَعْضَهُمْ عَلَىٰ بَعْضٍۢ وَبِمَآ أَنفَقُوا۟ مِنْ أَمْوَٰلِ
هِمْ ۚ فَٱلصَّٰلِحَٰتُ قَٰنِتَٰتٌ حَٰفِظَٰتٌۭ لِّلْغَيْبِ بِمَا حَفِظَ ٱللَّهُ ۚ وَٱلَّٰتِى تَخَافُونَ نُشُوزَهُنَّ فَعِظُوهُنَّ وَٱهْجُرُوهُنَّ فِى ٱلْمَضَاجِعِ وَٱضْرِبُوهُنَّ ۖ فَإِنْ أَطَعْنَكُمْ فَلَا تَبْغُوا۟ عَلَيْهِنَّ سَبِيلًا ۗ إِنَّ ٱللَّهَ كَانَ عَلِيًّۭا كَبِيرًۭا
"Les hommes veillent sur les femmes de par leur faveur physique sur celles-ci, et en pourvoyant matériellement à leurs besoins. Les femmes droites, respectables veillent avec le soutien de Dieu sur leur chasteté en l'absence de leurs époux. S'ils craignent que leurs épouses cherchent ailleurs, qu'ils les exhortent, séparent leurs couches et les y laissent. Si elles deviennent conciliantes, qu'ils ne cherchent plus contre elles de voie [pour la répudiation]."
(Cor. 4:34)
C) Les hadiths :
C-1. Le sermon d'adieu, exégèse prophétique du verset (4:34) :
Ce passage du sermon d'adieu est l'explication de ce verset.
ب<يوتكم إلا بإذنكم ولا يأتين بفاحشة , فإن فعلن فإن الله قد أذن لكم أن تعضلوهن وتهجروهن في المضاجع وتضربوهن ضربا غير مبرح , فإن انتهين وأطعنكم فعليكم رزقهن وكسوتهن بالمعروف , واستوصوا بالنساء خيرا , فإنهن عندكم عوان لا يملكن لأنفسهن شيئا , وإنكم إنما أخذتموهن بأمانة الله واستحللتم فروجهن بكلمة الله فاتقوا الله في النساء واستوصوا بهن خيرا - ألا هل بلغت .... اللهم فاشهد.
Ce passage du sermon d'adieu présente comme déjà vu une exégèse du verset (4:34) cité plus haut.
- L'expression وتضربوهن ضربا غير مبرح de ce sermon explique le sens visé dans ce verset. Et le terme Mubarrah signifie de par son étymologie l'idée de rupture. Pour cette raison, le terme "ضرب" de ce verset signifie dans le contexte des exhortations et de la séparation des couches après le délaissement sexuel à l'égard de l'époux : l'idée de tenter de les raisonner et récupérer. Si après ces tentatives elle ne cède pas à son époux, et ne devient pas conciliante et demeure distante, il peut donc s'en séparer en paix et conscience.
- Dans un autre hadith le Prophète mentionne les invocations à l'encontre des épouses se refusant à leurs conjoints jusqu'à l'aube, parole montrant que dans l'esprit du Prophète le viol conjugal est simplement impensable.
- Le terme " نشوز ", signifiant l'idée de se redresser et d'être indocile, étant à comprendre dans le sens du refus de copuler parfois rendu erronément comme la désobéissance dans le sens large.
C-2 L’interprétation violente de 4:34 est inconsistante :
1. Chronologie des révélations
- Le verset du khul‘ (2:229) est antérieur de plus de deux ans à 4:34.
- Révélé à la période mecquoise ou au début médinois, il établit déjà la séparation unilatérale féminine comme solution légitime en cas de discorde grave (nushûz ou simple incompatibilité).
2. Pratique prophétique explicite
- Le Messager a autorisé le khul‘ sans phase préalable de violence.
- Exemple : une femme dit « Je ne supporte plus mon mari, même s’il n’a rien fait de mal » → séparation immédiate contre remboursement de la dot.
3. Contradiction logique et éthique
- Si 4:34 autorisait les coups puis la séparation pour le même motif (nushûz), cela rendrait le processus :
- Absurde : permettre de frapper tout en legiferant un divorce féminin (khul‘) briserait les couples, ce qui est l'opposé du but du verset concerné.
4. Rôle réel de 4:34
- waḍribūhunna (dans son contexte tardif) vise à prévenir le nushûz extrême menant au khul‘, pas à le précéder d’une punition physique.
- Les exégètes classiques qui parlent de « frappe symbolique » ou « séparation par le lit » faire NT ainsi car ils sentent cette tension.
Conclusion : La chronologie + la Sunna du khul‘ comme issue pacifiée rendent l’interprétation violente de 4:34 non seulement moralement douteuse, mais logiquement incohérente avec l’ensemble du message.
C-3. Le Messager n'a frappé aucune de ses épouses
:
En dehors de ce hadith coranique, un certain hadith est invoqué dans l'optique de l'autorisation de frapper les épouses. Or, dans ce hadith nous lisons de façon explicite et formelle que le Prophète interdit et réprouve le fait de frapper les dames. La fin du récit soutenant un rétractement du Prophète à ce sujet est quant à lui variable et fluctuant.
Analyse
- La partie terminale de ce hadith dont le début interdit strictement de frapper "les servantes de Dieu" est fluctuant et trouble (mudtarib). Ainsi, il possède de nombreuses variables incompatibles. L'une de ces variantes ressort comme la source de toutes ces variantes (reconstruction isnād-cum-matn). Le Prophète interdit aux mâles de frapper les dames. Et Umar ibn al-Khattab vient chez le Prophète se plaindre de ce que les femmes sont devenues insupportables. La réponse du Prophète sur ce aurait été : "Aujourd'hui soixante-dix femmes battues sont encore venues se plaindre de leurs époux, et selon mes épouses ceux-ci ne sont pas les meilleurs des hommes.". (ibn Sa'd, Tabaqāt.) La transmission de cette variante est un exemple d'artéfact d'une approche différente de la question dans l'islam primitif ayant résisté aux indénombrables tentatives d'uniformisation des sources.
- au sujet de cette source, nous constatons une proximité optimale vis-à-vis de toutes les autres variantes :
a) " Ceux qui frappent leurs épouses ne sont pas les meilleurs parmi vous " (version originelle)
b) " Sur ce il a autorisé à les frapper disant "ceux qui frappent ne sont pas les meilleurs parmi vous " (qualifier ceux-ci de ceux qui ne sont pas les meilleurs est interprété ici comme une permission de frapper, mais non souhaitable)
c) " Ensuite le Prophète l'a permis à nouveau " (le hadith est transmis dans son sens interprété ainsi en supprimant les termes propres du Prophète)
d) " Alors frappez-les. Ces femmes ne sont pas les meilleures des femmes " (cette version est une transmission du hadith tel qu'interprété tourné à l'envers (taqlīb) après le mudrajul matn imbriqué au récit dans les versions 2 et 3 citées supra)
La variation du récit a ainsi progressé à partir du récit cité plus haut étape par étape. Ainsi les termes "ensuite il l'a à nouveau autorisé" et toutes les autres variantes dérivent de cette parole originelle du Prophète : " au jourd'hui encore soixante-dix dames battues sont venues se plaidre de leurs époux, ceux-ci ne sont pas selon mes épouses les meilleurs des hommes parmi vous".
De l'expression "ceux-ci ne sont pas les meilleurs des hommes" il a été compris "donc ceci n'est pas formellement prohibé mais permis". Or cela est incohérent, puisqu'au début du hadith le Prophète dit nettement : "ne frappez pas les servantes de Dieu". Ce hadith constituait donc initialement une interdiction formelle de frapper les femmes de la bouche du Prophète.
C-4. Exemple du Prophète:
Le Coran enseigne que le prophète est un exemple à suivre, et Aïcha rapporte qu'en dehors des confrontations sur les champs de batailles le Prophète n'a frappé personne qu'il s'agisse d'une personne libre ou d'un esclave. (Muslim rapporte cela suivant une source tenue pour fiable.)
C-5. Le Prophète a séparé deux couples quand les femmes ont été maltraitées :
ibn Abbas, rapporte au sujet de de Tahbit ibn Qays, sur son épouse serait venue chez le Messager dire : " Ô Messager, je ne me plaindrai pas au sujet de la foi de mon époux, mais je crains après avoir cru de me mettre en défaut au sujet de la religion " aurait-elle dit au Prophète. Muhammad lui demandant : "Es-tu susceptible de lui remettre son jardin qu'il t'a offert pour dot ?. Elle de répondre : "Oui". Sur quoi le Prophète commandera à Thabit de reprendre son jardin et se séparer d'elle. (rapporté par al-Bukhari, Tirmidhi, abu Davud et ibn Majah, ...) Le Prophète aurait séparé un autre couple de façon unilatérale sur demande de l'épouse encore une autre fois. Notons qu'aucune autre exigence de motivation du souhait de rupture conjugale des dames n'est exigé ni une approbation des époux.
C-6. Le Prophète Muhammad déconseille à une amie d'épouser un homme connu comme étant violent :
Fatima bint Qays ayant reçu trois invitations au mariage par Sufyan, Muawiya et abu Jahm vint demander conseil chez le Prophète. Celui-ci répondit à Fatima : "Le bâton d'abu Jahm ne descend jamais de son épaule, Muawiya est démuni et sans moyens, épouse plutôt Usama". Fatima bin Qays répondit : "Je ne ressens rien à son égard". Or, il réitéra : "Epouse plutôt Usama". Fatima dira plus tard : "J'ai suivi son conseil et les amies m'enviaient". (repris par Muslim)
C-7. Hadith forgés, faibles ou orientés :
C-7.1. abu Dawud (2.142) : "Une personne ne sera pa interrogée pour avoir frappé son épouse."
- Ce hadith est très faible et sans aucun poids. Et il contrevient aux autres hadiths sains rapportant les pratiques du Prophète en cas de violence conjugale.
C-7.2. Certains prétendent que Muhammad aurait un jour frappé Aïcha à la poitrine. Or, le hadith cité pour cette fin parle plutôt de "pousser" (لحد) à la poitrine. On peut lire que Muhammad mécontant la repoussa en touchant sa poitrine, mais la fragilité de son épouse fit qu'elle en ressentit une certaine douleur. Cela n'est certes pas souhaité mais parler de frapper est inexact et erroné. Par ailleurs, la perception personnelle d'Aïcha suivant son témoignage cité plus haut où elle dit que jamais en dehors des champs de bataille le Prophète n'a frappé quiconque est très limpide. Par conséquent le hadith invoqué, quoi que sain n'indique aucune intention de faire mal.
C.7.3. Parfois, le hadith que nous allons analyser infra est également invoqué pour soutenir l'interprétation classique du passage du Coran étudié ici. Selon ce hadith une femme serait arrivée chez le Prophète se plaindre de la violence de son époux. Et le verset étudié aurait été révélé rendant licite le fait de les frapper. Cela est faux. (Le hadith, lui, est rapporté de source fiable selon Muslim.)
- En fait, la lecture du récit montre que la femme ne s'est nullement plainte au Prophète de violence conjugale. Celle-ci portait une trace de meurtrissure relevée par Aïcha, mais celle-ci pourait être survenue involontairement. Abdurrahman apprenant que son épouse est allée chez le Prophète arriva juste après elle. La femme ne mentionne nullement des coups mais dit très exactement : "Dieu m'est témoin que je ne lui ai causé aucun tord, mais celui-ci est impuissant et m'est aussi utile que ceci" en secouant les franges de sa robe pour dire qu'il n'est pas puissant, sur quoi Abdurrahman dit : "Dieu m'est témoin, ô Messager qu'elle a menti. Je suis un mâle très puissant et puis l'assouvir, mais c'est plutôt qu'elle désire se séparer de moi en sorte à retourner chez Rifa'a son ex mari". Sur ce, le Prophète dit à la femme : "Si ton intention est bien de retourner à ton ex mari, tu ne peux retourner à lui sans avoir consommé un autre mariage." Et regardant vers Abdurrahman et deux jeunes hommes à ses côtés il lui demanda : "Ceux-ci sont-ils tes garçons ?" Abdurrahman répondit par l'affirmative. Alors le Prophète dit à la femme : "Tu affirmes qu'Abdurrahman est impuissant, mais ses deux garçons lui ressemblent comme des corbeaux entre-eux."
a) La femme ne se plaint nullement de violence chez le Prophète, mais souhaite se séparer.
b) Elle affirme que celui-ci est impuissant et inapte à l'assouvir.
c) Le Prophète fait remarquer l'incohérence de son affirmation de par la ressemblance entre Abdurrahman et ses deux fils.
d) Pour cette raison, il rapelle à la femme qu'elle ne peut retourner selon le Coran à son ex mari avant d'avoir consommé un mariage avec un autre homme entre-temps. (Cor. 2.230)
e) La femme n'insiste pas pour rompre, si son intention est de retourner à son ex époux il eut été inutile qu'elle quitte celui-ci pour quitter un second. Affirmant ne pas avoir consumé son mariage son retours à son ex époux restant non recevable.
D-7.4. Un autre hadith, faible, est souvent invoqué également dans la systématique de vouloir autoriser à frapper les épouses. Or, ce fameux hadith ne remontant pas jusqu'au Prophète et dont toutes les voies de transmissions interrompues (mursal) remontent à ibn Jafar exclusivement est utilisé comme une preuve de façon totalement partisane et orientée. Une seule variante remontant de façon régulière jusqu'à ibn Marduya (mawkuf) est connue pour ce récit, qui est également faible. Malgré qu'aucune des variantes de ce récit ne soit fiable, des juristes la considèrent comme saine en en assemblant toutes les variantes ensemble. Cherchant ainsi à rendre le récit faible sain dans un raisonnement tautologique sur base de l'ensemble des hadiths étudiés plus haut interoprétés systématiquement en ce sens. Mais ce récit a-t-il pu avoir lieu avant ou après le hadith où le Prophète interdit "de battre les servantes de Dieu." Car, si le Prophète a permis de les frapper avant ce récit-ci, alors pourquoi aurait-il envisagé d'appliquer le talion plus tard. Par contre ci cette interdiction a suivi cet incidant induisant le fameux verset, comment a-t-il pu contrevenir au verset ? Par ailleurs, ce récit forgé ne nous parvient par aucune source fiable.
Voici le contenu de ce hadith faible : "Une dame vint au Prophète se plaindre de la violence de son époux, et celui-ci envisagea d'appliquer le talion. sur ce, le verset "les hommes veillent sur les femmes..." fut révélé, et le Prophète dit : "J'ai souhaité une chose, or Dieu a commandé autrement". Comme souligné plus haut, les variantes de ce récit sont faibles. Ceux qui affirment qu'il est sain ne présentent aucune source de transmission saine.
- Historiquement un tel événement n'a jamais pu avoir lieu. Pourtant ce hadith est systématiquement invoqué dans les ouvrages de jurisprudence, appuyé par l'ensemble d'autres hadiths forgés ou interprétés de façon orientée en sorte de la présenter comme fiable par tautologie. Si ce récit avait vraiment eu lieu historiquement, il ne pourrait se situer ni avant, ni après le hadith authentique disant que le prophète Muhammad a interdit de "frapper les servantes de Dieu" avant de se rétracter -rétractement également inexact comme vu plus haut. Cette méthode tautologique de produire du fiable à partir de sources non fiables est ainsi une erreur de logique. Et il n'existe pas un seul élément solide en faveur de cette interprétation classique autorisant à frapper une épouse indocile.
D) Les traditions des compagnons et l'islam primitif :
D-1. Le terme "ضرب" du Coran a plusieurs sens autres que "frapper", comme, "copuler", "jeter", "se serrer contre"... Le Coran l'utilise par ailleurs dans le sens de : "rabattre", "exposer" ou "voyager".
D-2. Chez les Compagnons le terme "نشوز" rendu traditionellement dans le sens de "l'inobéissance" est démenti par : Ata , Mujahid, Chabi ou Aïcha, interprétant tous le terme "نشوز" comme le souhait de quitter son conjoint pour un autre. Le sermon d'adieu rejoignant ce fammeux verset expliquant la "crainte de nushūz" comme la tromperie ou le fait d'amener des étrangers chez-elles en l'absence de l'époux renforce nettement cela.
E) La femme peut divorcer de façon unilatérale par Khul' (خلع) :
Si les époux sont violents à l'égard des femmes, celles-ci peuvent de toutes façons s'en séparer de façon unilatérale par khul'. Nous avons étudié ce sujet ailleurs dans un autre article.